Généralités : Sclérodermie systémique

Généralités
Description de la pathologie
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    Résumé par le Pr Eric HACHULLA (Février 2019)

    Service de Médecine Interne, CHU LILLE

    Définition

    • Maladie rare
    • Maladie auto-immune
    • Maladie systémique : peut toucher de nombreux organes

    Épidémiologie

    • 1/5000 à 10000 personnes
    • 6000 à 9000 personnes en France
    • Prépondérance féminine : 4 femmes / 1 homme
    • Age moyen de survenue : pic de fréquence 45-64 ans

    Physiopathologie

    On ne connaît pas les mécanismes exacts qui déclenchent la sclérodermie. Il existe un dérèglement du système immunitaire qui met en jeu les lymphocytes, les cellules endothéliales et les fibroblastes. L’implication de ces trois populations cellulaires explique la présentation de la maladie : d’une part, une accumulation de collagène responsable de la fibrose cutanée et viscérale (surtout pulmonaire) et d’autre part, des lésions vasculaires touchant la microcirculation (micro-angiopathie) responsables du phénomène de Raynaud, des troubles trophiques des extrémités ou de complications viscérales comme la cardiopathie ou la néphropathie. Certains facteurs environnementaux jouent un rôle favorisant comme l’exposition à la silice (syndrome d’Erasmus) ou aux solvants. A ce titre, certaines sclérodermies peuvent être reconnues comme maladie professionnelle.

    Classification phénotypique

    La sclérodermie systémique exclut par définition les sclérodermies cutanées localisées qui peuvent être en plaques ou en bandes mais sont strictement localisées à la peau et n’ont donc pas de composante systémique. On classe les sclérodermies systémiques de la manière suivante :

    • Forme systémique cutanée limitée : l’atteinte cutanée ne remonte pas au-dessus des coudes et des poignets, elle peut toucher le visage mais épargne le thorax
    • Forme systémique cutanée diffuse : l’atteinte cutanée atteint les bras, les cuisses et/ou le thorax
    • Forme sans atteinte cutanée (sine scleroderma)

    Clinique

    Phénomène de Raynaud

    Il est presque constant dans la sclérodermie systémique, pouvant parfois précéder de plusieurs années l’apparition des autres symptômes. Devant un phénomène de Raynaud « atypique » ou non isolé (début à l’âge adulte ou associé à une symptomatologie de reflux gastro-œsophagien, de douleurs articulaires ou d’essoufflement), il faut rechercher des signes d’atteinte microcirculatoire évocateurs de sclérodermie : ulcération digitale, cicatrice déprimée, doigts boudinés, rétraction digitale, télangiectasies sur les doigts ou le visage. À ce stade, 2 examens complémentaires sont nécessaires : la capillaroscopie péri-unguéale et la recherche d’auto-anticorps anti-nucléaires.

    Atteinte cutanée

    La sclérodermie entraine une infiltration scléreuse de la peau qui prend un aspect luisant, tendu, le derme est épaissi à la palpation. Cette sclérose débute aux doigts avec une topographie ascendante. Elle peut progressivement entraîner une limitation de l’extension des doigts (signe de la prière) mais aussi une limitation de la flexion des doigts. Sur le visage, on décrit parfois un aspect lissé de la peau, l’apparition de plis radiés péribuccaux et une limitation de l’ouverture buccale. On observe souvent des télangiectasies sur les mains ou le visage.

    Atteinte pulmonaire interstitielle

    La pneumopathie interstitielle est fréquente au cours de la sclérodermie touchant jusqu’à 50% des patients selon les séries. Toutefois, cette atteinte peut être minime, limitée  et non évolutive chez certains patients. Chez d’autres, l’extension des lésions pulmonaires peut conduire à une dyspnée, une toux sèche avec cliniquement des râles crépitants des bases pulmonaires. Selon le degré de sévérité, la pneumopathie interstitielle peut entraîner un syndrome restrictif (diminution de la capacité vitale) avec une diminution de la DLCO (altération échanges gazeux) et nécessite un traitement spécifique pour éviter l’évolution vers l’insuffisance respiratoire chronique.

    Hypertension artérielle pulmonaire (HTAP)       

    Touchant environ 5 à 8% des patients sclérodermiques, l’HTAP est un facteur pronostique péjoratif au cours de la sclérodermie en raison des complications cardiaques droites qu’elle entraîne. La nécessité d’une prise en charge précoce justifie un dépistage annuel systématique par biomarqueurs, échographie cardiaque et mesure de la DLCO.

    Atteinte cardiaque

    • Myocardiopathie : peu fréquente, par atteinte microcirculatoire du myocarde ou parfois authentique myocardite (chevauchement sclérodermie et myosite).
    • Péricardite : fréquente, souvent asymptomatique et de découverte fortuite, peut aussi être un marqueur d’activité de la maladie.

    Atteinte digestive

    Le reflux gastro-œsophagien avec hypopéristaltisme des 2/3 inférieurs de l’œsophage et hypotonie du sphincter du bas œsophage est une atteinte fréquente au cours de la sclérodermie, parfois invalidante. L’estomac peut être touché avec des troubles de vidange. Il peut également coexister une atteinte de tout le tube digestif se manifestant par une constipation chronique avec une alternance clinique de diarrhées et de constipation sur une stase stercorale ainsi que des troubles de continence anale par atteinte du sphincter anal.

    Atteinte articulaire

    Il s’agit le plus souvent de polyarthralgies, plus rarement de polyarthrite, exceptionnellement érosive. Les ténosynovites crépitantes (poignets et jambes) rencontrées au stade précoce de certaines formes cutanées diffuses sont un marqueurs de sévérité.

    Atteinte rénale

    La crise rénale aiguë est une complication grave de la sclérodermie, mettant en jeu le pronostic vital. C’est une complication aujourd’hui exceptionnelle observée dans moins de 2% des cas. Elle survient plus volontiers dans des formes cutanées diffuses récentes et peut être précipitée par la prise de corticoïdes à hautes doses, supérieure à 15 mg/jour d’équivalent de prednisone. Elle se manifeste par une hypertension artérielle sévère, une insuffisance rénale aiguë et la présence d’une hémolyse avec schizocytes. Sa prise en charge doit se faire en urgence et repose sur l’utilisation des inhibiteurs d’enzyme de conversion associés au traitement symptomatique de l’insuffisance rénale.

    Examens complémentaires

    Bilan diagnostique

    • Capillaroscopie péri-unguéale : cet examen non invasif et indolore qui permet d’observer les capillaires au lit de l’ongle, reflet de la microcirculation, doit être réalisé au moins une fois devant tout phénomène de Raynaud. Dans la sclérodermie systémique, il est décrit une microangiopathie organique avec une raréfaction capillaire ainsi que des dystrophies ectasiantes ou mégacapillaires
    • Anticorps antinucléaires : ils sont positifs chez plus de 90% des patients avec deux principales fluorescences observées, l’aspect anticentromère et l’aspect nucléolaire. Outre l’aspect centromérique, les spécificités les plus fréquemment observées sont de type anti-topoisomérase (ou anti-Scl70), les anti-ARN polymérase III. D’autres spécificités plus rares sont possibles mais dans 20 à 30% des cas, aucune spécificité n’est retrouvée

    Recherche de complications viscérales

    • Échographie cardiaque trans-thoracique : elle doit être réalisée lors du bilan initial pour étudier la fonction ventriculaire gauche et doit être systématiquement renouvelée tous les ans pour l’étude des cavités droites à la recherche de signes en faveur d’une HTAP débutante
    • Explorations Fonctionnelles Respiratoires (EFR) : cet examen non invasif est intéressant à surveiller car une diminution isolée de la DLCO peut être à la fois évocateur d’une HTAP débutante ou d’une pneumopathie interstitielle débutante. En cas d’atteinte parenchymateuse, la capacité vitale fonctionnelle est le paramêtre principal d’évaluation et de suivi. Le scanner thoracique en coupes fines est souvent réalisé une fois au début de la maladie à la recherche d’une pneumopathie interstitielle débutante (plages en verre dépoli des bases pulmonaires). Il sert d’examen de référence pour le suivi.
    • D’autres examens peuvent être réalisés de façon moins systématique en fonction des symptômes allégués par le patient (fibroscopie œsogastrique et manométrie œsophagienne, radiographie/échographie des articulations douloureuses et notamment des mains à la recherche notamment de synovites et de calcifications sous cutanées, contrôle de la fonction rénale et des enzymes musculaires ainsi que du bilan hépatique, IRM cardiaque à la recherche de cardiomyopathie spécifique).

    Diagnostic positif

    Il repose sur les critères de classification ACR-EULAR 2013.

    Évolution

    La sclérodermie systémique cutanée diffuse a une tendance évolutive principalement au cours des 3-5 premières années à partir du premier symptôme en dehors du phénomène de Raynaud. C’est le cas particulièrement pour les atteintes pulmonaires et cutanées. Après cette phase initiale, l’atteinte cutanée a tendance à se stabiliser et à régresser. Le pronostic à long terme dépend des atteintes viscérales initiales ou qui pourraient survenir au cours du temps comme notamment le risque d’HTAP.

    Dans la forme cutanée limitée, l’histoire naturelle est moins bien connue mais la maladie est plus lentement évolutive, évocatrice d’un remodelage à bas bruit avec un risque d’HTAP et d’atteinte digestive parfois très tardive (après 10-20 ans d’évolution).

    Traitement

    Il n’existe pas de traitement à proprement parler de la sclérodermie systémique ; tous les traitements proposés sont symptomatiques ou visent à prévenir ou à ralentir l’évolution d’atteintes spécifiques liées à la maladie.

    • Raynaud et ulcérations digitales :
      • Mesures hygiéno-diététiques de protection contre le froid
      • Inhibiteur calcique (ex : Amlor®, Tildiem®) : traitement symptomatique du Raynaud et préventif de la survenue d’ulcères digitaux (ulcères digitaux)
      • Ilomédine intraveineux : traitement curatif des ulcères digitaux
      • Inhibiteurs des récepteurs de l’endothéline (Bosentan) : prévention secondaire de la survenue d’ulcères digitaux
      • Sildénafil par voie orale : syndrome de Raynaud réfractaire et ulcères digitaux
      • Soins locaux des ulcères digitaux
    • Polyarthrite : Méthotrexate par analogie avec la polyarthrite rhumatoïde
    • Troubles digestifs :
      • Inhibiteur de la pompe à protons : quasi systématique en raison du caractère extrêmement fréquent du reflux gastro-œsophagien
      • Prokinétiques
      • Mesures hygiéno-diététiques et traitements symptomatiques contre la constipation ou la pullulation microbienne si nécessaire
    • Pneumopathie interstitielle :
      • La corticothérapie à faible dose (sans dépasser 15 mg/j d’équivalent prednisone en raison du risque de crise rénale aiguë) est recommandée par certains experts
      • Immunosuppresseurs et/ou biothérapies : en cas d’évolutivité ou de retentissement clinique au diagnostic de la sclérodermie :
          • Cyclophosphamide IV (Endoxan®)
          • Ou Mycophénolate mofétil (Cellcept® – Myfortic®)
          • Tocilizumab/Rituximab
      • Antifibrotiques : Nintedanib
    • HTAP : de nombreux médicaments sont aujourd’hui disponibles pour traiter l’HTAP, les inhibiteurs des récepteurs de l’endothéline (Bosentan, Ambrisentan), les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type V (Sildénafil, Tadalafil), les agonistes de la guanylate cyclase (Riociguat), les agonistes des récepteurs de la prostacycline (Selexipag), les prostacyclines de synthèse en intraveineux (Epoprosténol) ou en sous cutané (Tréprostinil)
    • Carnet vaccinal à jour (dont pneumocoque et grippe, COVID)
    • Crise rénale sclérodermique : le traitement repose sur les inhibiteurs de l’enzyme de conversion
    • Éducation thérapeutique : l’éducation thérapeutique du patient est un soin indissociable de la prise en charge de la sclérodermie systémique, elle participe à améliorer la santé et la qualité de vie du patient et de celle de ses proches.